On le sait, Tricky n’a jamais été connu pour brosser le public dans le sens du poil.
Depuis son chef d’œuvre « Maxinquaye » de 1995, véritable manifeste trip-hop et après ses débuts fracassants avec Massive Attack (« Blue Lines » c’est lui, aussi), il a enchaîné des disques aussi fascinants que sombres et peu faciles d’accès. Allez donc, juste pour vous faire une idée, jeter une oreille sur ces « Nearly Gods » (1996), « Pre-Millenium Tension » (1996) ou encore « Angels With Dirty Faces » (1998) pour juger de la rugosité du bonhomme. Sur scène, même topo, Tricky n’étant pas du genre à tchatcher avec son public ni même à esquisser un sourire de trop.
J’avoue avoir, peu à peu, suivi sa carrière de plus en plus loin, écoutant puis délaissant ses albums successifs, rebuté souvent par le fait qu’il était difficile de s’y sentir bien accueilli. Jusqu’à « Adrian Thaws » en 2014, superbe album, qui retrouvait l’évidence et la simplicité perdues et surtout brisait la carapace ; le titre du disque étant le véritable nom de Tricky. Le très bon « Skilled Mechanics » enfonçait le clou en 2016. C’était assez pour que ce nouvel album « Fall To Pieces » titille ma curiosité et me fasse m’y précipiter.
Passée la pochette sur laquelle « Tricky » est symboliquement dans une main féminine, la première écoute révèle l’étonnante brièveté de l’objet : 11 morceaux pour une durée totale de 29 minutes, 14 par face. Pas plus. En vieillissant, Tricky semble jouer la carte de la sobriété, privilégier l’art du peu voire du « moins », en tous cas se concentrer sur l’essentiel. Album court, titres courts voire très courts, voilà qui nous change de la production ambiante.
Une fois le disque posé sur la platine, l’hypothèse se confirme. Tricky semble avoir totalement dégraissé sa musique, la plupart des titres se contentant d’arrangements hyper dépouillés, comme un squelette à peine apprêté. « Thinking Of » par exemple, le premier morceau de la face A ne tient que par une batterie minimaliste, quelques traits de guitare slide, des synthés faméliques et étranges et bien sûr la voix de la chanteuse Marta Zlakowska. C’est peu mais c’est magnifique. Ainsi dévêtu, le titre atteint une beauté intimiste et sombre qui sera présente sur toute la durée du disque. S’entourant de voix féminines, sa marque de fabrique, Tricky semble effacé. À peine si l’on perçoit le râle de sa voix sur le fantastique « Fall Please » mais il s’impose le temps d’une phrase répétée sur « Close Now » aussi nu que bref.