Mes disques de A à Z : B comme Beatles (la suite)
Rédaction : Christophe Billars le 22 décembre 2021
Mais en 1965, à l'heure d'aborder l'enregistrement de « Help ! », la Beatlemania bat son plein, des hordes de fans en furie font subir aux 4 musiciens une pression qu'ils ont de plus en plus de mal à supporter. Dès lors, dans cet album, pour la première fois, certaines paroles se font plus sombres, plus profondes et c'est ainsi qu'il faut sans doute comprendre la chanson-titre, comme un appel au secours d'un groupe qui commence à être dépassé par son succès.
Quoiqu'il en soit, tout le monde connaît ce titre absolument extraordinaire qu'est « Help ! », tube intemporel qui n'a pas pris une ride et qui ouvre l'album. Exemplaire mélange harmonieux d'énergie pop et de mélancolie, il est sans doute ce que le groupe a produit de meilleur depuis le début de sa carrière tout en restant dans le style qui les a consacrés. Pour s'en tenir aux immenses tubes de l'album, on ne peut que s'incliner devant ce « Ticket To Ride » au rythme finalement assez lent et lourd, à la mélodie imparable. Avec « Help ! » et « Ticket To Ride », Lennon est à son meilleur avec ce mélange de pop et de rock sans qui Oasis, pour ne citer qu'eux, n'aurait jamais existé.
Mais Paul Mc Cartney n'est pas en reste puisque c'est avec « Yesterday » qu'il signe un des plus grands classiques du 20ème siècle, le genre de chanson pour laquelle tout le monde se damnerait afin d'en être l'auteur. Hyper dépouillé, le titre repose sur une guitare acoustique, la voix de Paul et bien entendu, le quatuor à cordes que George Martin a su convaincre Mc Cartney d'enregistrer. Avec le recul, il est facile de voir dans « Yesterday » les prémices des futures expérimentations des Beatles et des splendeurs à venir tant l'évidence de ses arrangements semble en empêcher toute critique, mais en 1965, utiliser un quatuor à cordes ne va pas de soi pour un groupe de rock et on ne peut que saluer ce geste audacieux qui permettra au groupe de tout oser par la suite et de changer à jamais la face de la musique populaire.
Si ces 3 titres écrasent la concurrence, il serait bien entendu très dommage de ne s'en tenir qu'à eux. L'album compte en effet deux chansons signées George Harrison, « I Need You » et « You Like Me Too Much », parfaitement dans le style pop et enlevé qui a fait jusque-là le succès du groupe. Les mélodies y sont accrocheuses et soutiennent la comparaison avec les titres signés Lennon/McCartney dans le même genre, tels les excellents « Another Girl » ou « The Night Before ».
Plus loin sur « You've Got To Hide Your Love Away”, Lennon semble s'inspirer de Bob Dylan que le groupe a rencontré quelques temps auparavant, sur un titre plus sombre et assez éloigné du style habituel du groupe. Ringo y va également de son interprétation avec « Act Naturally », une reprise qu'il transforme en titre country. Avec « I've Just Seen A Face » Mc Cartney signe un titre enlevé assez acoustique très réussi. Difficile de ne pas reconnaître ici une influence majeure d'un groupe tel que Belle and Sebastian qui excellera 30 ans plus tard dans ce registre. Enfin « Dizzy Miss Lizzy », la dernière reprise de l'histoire des Beatles, semble quelque peu anachronique après les expérimentations de « Yesterday » et ce rock puissant sonne comme s'il venait tout droit de la décennie précédente.
Quoiqu'il en soit, en 1965, avec « Help ! », les Beatles signent alors leur plus grand album. Qui aurait pu prévoir à l'époque que tout ne faisait que commencer ? Que le meilleur était à venir ?
« Rubber Soul », sorti quelques mois après « Help ! » est pourtant d'une toute autre trempe et constitue véritablement un bond en avant du groupe en qualité et en cohérence. John Lennon disait de « Rubber Soul » qu'il marquait à ses yeux le début de sa vie d'adulte. À sa réécoute, il m'apparait évident qu'il marque aussi le début de la vie d'adulte des Beatles en tant que groupe. Ce même groupe qui allait bientôt abandonner les concerts pour se consacrer au travail de studio. La pochette elle-même ne montre déjà plus des visages poupins mais ceux d'hommes qui commencent à murir, si ce n'est, tout relativement, à vieillir.
L'album, quant à lui, est encore une fois le meilleur du groupe. Il se distingue tout d'abord de « Help ! » par la qualité ahurissante des compositions et par son homogénéité dans ce domaine. Aucun morceau faible ne vient rompre la cohésion de l'ensemble. Performance d'autant plus remarquable quand on sait que ni « Day Tripper » ni « We Can Work It Out » ni « Paperback Writer » édités en singles ne figurent sur l'album, excusez du peu. Ensuite, il témoigne d'un travail en studio de plus en plus approfondi et « Rubber Soul » reflète la volonté du groupe d'innover, de s'inspirer d'influences de plus en plus larges et diverses. Harrison joue du sitar sur « Norwegian Wood », on trouve un solo de clavecin sur « In My Life » (en fait un piano joué plus lentement puis accéléré en studio) et les paroles se font plus « sérieuses », plus ancrées dans la réalité sociale de l'époque. Enfin, la rencontre avec Bob Dylan leur a fait découvrir le LSD qui a sans doute influencé la phase de création de l'album. Et c'est un festival !
« Drive My Car » et ses fameux « Bip Bip » placé en introduction est un single irrésistible. Tout en légèreté grâce au piano et aux voix conjuguées de Lennon et McCartney, le titre est devenu un classique du groupe. Mais que dire de la fantastique « Norwegian Wood » qui prend des airs psychédéliques grâce au sitar qui n'a pourtant rien de norvégien ? Le titre est une somptueuse ballade nocturne qui marque sans nul doute une avancée des Beatles vers des terres encore inconnues et reste à ce jour l'une de leurs plus grandes chansons.
C'est aussi l'album où les compositions de George Harrison s'affirment comme étant des pics tout autant que celles de Lennon et McCartney. C'est d'ailleurs sur l'une des deux, la délicieusement psychédélique « Think For Yourself » que Paul expérimente un effet fuzz sur sa basse. L'autre titre d'Harrison « If I Needed Someone » est dans la même veine et tout aussi excellent. Je ne peux m'empêcher d'y déceler des sonorités que l'on retrouvera dans l'étourdissant album qui suivra. Mais on ne sait où donner de la tête et des oreilles sur « Rubber Soul » tant le niveau est élevé. Les chansons de Lennon comme « Nowhere Man » qui augure déjà des pistes qu'il empruntera lors de sa future carrière solo, ou l'enchanteur « The Word » mais surtout les deux perles que sont « In My Life » et la sublime « Girl » volent à une altitude que jamais le groupe n'a atteinte.
Avec ces deux derniers titres en particulier, Lennon touche à la perfection pop, « Girl » étant, pour moi, l'une des plus grandes chansons de tous les temps avec ses chœurs merveilleux, ses soupirs et sa douce langueur mélancolique qui touche au cœur.
Si le talent de Lennon éclabousse l'album de sa classe, McCartney n'est pas en reste en particulier avec la célébrissime et irrésistible « Michelle », quintessence de l'art mélodique de Paul et sublimée par ses chœurs aériens. Sur « You Won't See Me », plus énergique et enlevée, McCartney chante ses déboires amoureux du moment.
L'album se clôt sur une nouvelle réussite de Lennon intitulée « Run For Your Life » où transpire l'influence de Dylan dans le phrasé et la voix de Lennon.
Vous l'avez compris, « Rubber Soul » est un album indispensable dans toute discothèque qui se respecte même s'il n'est pas le plus connu ni le plus adulé de ses auteurs. Je lui voue personnellement un attachement sans faille et chaque écoute le bonifie, tant la qualité des chansons, les arrangements sont absolument stupéfiants. Beaucoup d'artistes rêveraient de sortir un tel disque et il est difficile à cet instant-là de la carrière des Beatles d'imaginer que ce qui va advenir sera encore plus incroyable.
Car en effet, l'année suivante, avec l'hallucinant « Revolver », les quatre gars de Liverpool allaient non seulement annihiler toute concurrence mais sortir des albums dont on peut se demander, pour chacun d'entre eux si ce n'est pas le meilleur de tous les temps. Mais ce sera pour une autre rubrique de « Mes disques de A à Z ».
Écoutez des extraits de Help! et Rubber Soul dans la programmation de Poptastic Radio.
Retrouvez les chroniques de Christophe Billars également sur son blog Galettes Vinyles
Passionné de musique, lui-même musicien, compositeur et parolier. Sur Poptastic, Christophe livre régulièrement des critiques affûtées sur les albums d'artistes britanniques ou en rapport avec la scène musicale britannique.
Commentaires
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Guy Barouk Sur 23 décembre 2021 à 13 h 05 min
Pas mieux !