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"Super Session" entre rock, blues et improvisations jazz

Rédaction : Apollonios le 15 octobre 2024

A la fin des sixties, la culture blues, à l'origine noire, a largement été récupérée par les jeunes blancs, instrumentalisant notamment le cri de révolte et de consternation face aux évènements tragiques de l'après grande guerre, et de la contemporaine guerre du Vietnam.

La scène blues de Chicago, une des premières a adopter l'amplification électrique à la fin des années 30, a été particulièrement influente, notamment par les efforts du célèbre Muddy Waters. Le passage de ce dernier au Royaume-Uni en 1958 va provoquer, par le biais du Skiffle déjà en vogue et d'Alexis Korner du Blues Incorporated, un raz-de-marée sans précédents, illustré par la formation des Rollings Stones, des Bluesbreakers, et des Yardbirds lesquels vont donner naissance à Cream, Jeff Beck Band, Fleetwood Mac, et Led Zeppelin (liste non exhaustive !).

Aux États-Unis, par les travaux de Willie Dixon pour Muddy Waters et Howlin' Wolf jusqu'à l'aube des sixties, émergent les Paul Butterfield Blues Band et Canned Heat. Mais quel autre musicien que Jimi Hendrix perfectionnera le blues à un point encore aujourd'hui inégalé ? A travers le milieu psychédélique et le jazz, ce génie, tout comme les Allman Brothers (et Cream puis Derek and the Dominos en Angleterre), va s'impulser les longs jams blues, également expérimentés par le Paul Butterfield Band sur leur second album. De ce pionnier ressort Mike Bloomfield, ayant déjà collaboré avec Alan Kooper en 1965 sur le culte... "Highway 61 Revisited" de Bob Dylan, et en tant que membre live la même année.

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Al Kooper et Mike Bloomfield.

Les deux hommes vont poursuivre leur carrière : Bloomfield jouera brièvement avec The Electric Flag, et Kooper continuera sa collaboration avec Dylan, puis avec Ten Years After et Blood, Sweat, & Tears jusqu'à début 1968. Le duo se retrouvera au piano sur le second album de Moby Grape. C'est ensuite que Kooper, récemment fort d'un poste de producteur chez Colombia Records, et désireux de jouer à nouveau avec Bloomfield, va recontacter celui-ci, dans l'idée de faire davantage respirer le jeu de Bloomfield dans un format live, du fait qu'il pense que ses aptitudes ont été entravées par la rigidité du travail en studio.

Mis d'accord, Kooper va réserver deux jours de mai 1968 aux studios californiens du label Columbia et s'entourer de Steve Hoh à la batterie (ayant joué avec Tim Buckley), Harvey Brooks à la basse (qui a aussi participé au "Highway 61 Revisited" et a été, avec Bloomfield et Kooper, un des musiciens du "backing band" électrique de Bob Dylan) et Barry Goldberg au piano (The Byrds).

Après un premier jour de sessions, Bloomfield rentre abruptement chez lui, souffrant d'insomnies (liées à sa dépendance à l'héroïne). Pour le deuxième jour Kooper se met en relation avec le guitariste Stephen Stills, aux alentours du moment où son groupe folk rock Buffalo Springfield se dissoudra. C'est ainsi que les cinq premiers titres des "Super Sessions" sont improvisés à la guitare par Bloomfield, et les quatre suivants, par Stills.

Sans plus attendre, le disque démarre sur un groove inouï avec "Albert's Shuffle", qui met admirablement en évidence le jeu viscéral et organique de Bloomfield. Les percussions de Hoh sont parfaitement placées, et le feeling jazz, poussé par l'arrangement aux cornes de Kooper, fait transpirer l'auditeur d'enthousiasme. "Stop", reprise du compositeur Jerry Ragovoy (qui a écrit "Piece of My Heart", que l'on connait par la version de Big Brother & Holding Company, avec Janis Joplin !). On a ensuite la belle ballade de Curtis Mayfield "Man's Temptation". Le jazz (et le jazz modal) est omniprésent ici, notamment par la composition originale de Bloomfield et Kooper "His Holy Modal Majesty", qui est un hommage au génial John Coltrane, décédé un an plus tôt. Suit "Really", titre final de la partie de Bloomfield, qui poursuit la superbe improvisation blues rencontrée magnifiquement rencontrée sur "Albert's Shuffle".

Sur "Season of the Witch", morceau monumental (originellement un hit du Dylan écossais Donovan), Stills dégage une attaque à la guitare très funk, laissant place une fois de plus place aux instruments à vents arrangés par Kooper. La reprise de Bob Dylan "It Takes a Lot to Laugh, It Takes a Train to Cry" rappelle beaucoup les Beatles, et son côté "Jangle" anticipe le rock indie. "You Don't Love Me" est une transcription psychédélique du classique de Willie Cobs, avec un effet "flanger" impeccable. Le final "Harvey's Tune", nommé d'après le bassiste et collègue de Kooper et Bloomfield, sélectionné pour participer à ces sessions, achève cette aventure sur un jazz doux et lancinant.

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Photographie réalisée par Elliott Landy
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Dos de l'édition vinyle japonaise.

Le terme de "supergroupe", conceptualisé par la réalisation de cet album, se voit doré d'un blason solide, après avoir notamment commencé à prendre forme avec Cream. Véritable succès blues/jazz, car en outre composé, depuis l'impulsion de Kooper, selon la façon de travailler des grands jazzmen, "Super Session" téléporte particulièrement les réussites de la scène noire de Chicago à la lumière du monde. Il reste bien sur aujourd'hui un authentique et obligatoire album pour tout fan de blues qui se respecte, et un recueil mémorable pour toute personne souhaitant faire l'expérience de la finesse d'un produit mêlant blues, jazz et rock. Suite au départ inopiné de Bloomfield à la fin du premier jour d'enregistrement, Kooper voudra renouveler la collaboration entre lui et le guitar hero. Émergeront deux albums live : un de septembre 1968 ("The Live Adventures of Mike Bloomfield and Al Kooper") et un autre de décembre ("Fillmore East : Al Kooper and Mike Bloomfield - The Lost Concert Tapes"). En 2003 est publiée une réédition contenant, à la demande des fans, "Albert's Shuffle" et "Season of the Witch" sans instruments à vent. En effet, les captures originelles de ces titres n'avaient pas ces ajouts. Al Kooper explique qu'il a préféré insérer ces parties dû au fait qu'il considérait que certaines sections n'avaient pas suffisamment de dynamique. Nous pensons que les deux versions sont tout autant appréciables, tant que l'on aime également le jazz et le blues.

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Harvey Brooks, Stephen Stills, et Al Kooper.
Auteur
apollonios chroniqueur poptastic radio

Manifestant les fruits de sa plume insatiable, laquelle touche aussi la poésie et la philosophie, Hariss est avant tout un grand passionné de toute sonorité émergeant autour de la guitare, allant, dans une certaine mesure, jusqu’à porter un intérêt pour l’histoire et l’organologie des instruments à cordes pincées. Plus particulièrement, il est attiré par ce qu’a produit la guitare telle qu’on la connaît aujourd’hui, c’est-à-dire depuis les fondations de l’industrie musicale moderne. Blues, folk contemporain, rock, et métal, tout passe par le crible de son expression écrite. A travers son pseudonyme, il tire les lumières de ses lettres par son âme tournée vers Apollon, ce dernier étant connu pour donner souffle et naissance à l’art de la musique.


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