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From America to ZZ Top : Animal Collective

Rédaction : Christophe Billars le 18 mars 2025

Mon beau-frère américain (car j'ai eu un beau-frère américain) – qui n'est d'ailleurs plus mon beau-frère mais encore américain je suppose – m'a un jour passé quelques copies numériques d'artistes également américains qu'il affectionnait. Nous étions quelque part au milieu de la première décennie de ce siècle et j'avoue avoir mis en sommeil une partie de sa large sélection, occupé que j'étais par ailleurs à découvrir la production du moment, remettant toujours à plus tard l'écoute de ces albums.

Ce ne fut qu'en 2007 que la sortie d'un album nommé « Strawberry Jam », par Animal Collective, me fit rappeler qu'il y avait dans le pack beau-fraternel certains des albums précédents du groupe. Je m'empressais alors avec beaucoup de retard de découvrir l'œuvre de ce groupe majeur, inclassable, dont il est question aujourd'hui.

Si mon beau-frère est californien, les membres d'Animal Collective sont eux originaires de la Côte Est, plus précisément de Baltimore, ville que ceux qui ont vu l'incroyable série « The Wire » (« Sur Écoute » en français) connaissent. Ces amis d'enfance sont Avey Tare (alias David Porter), Noah Lennox, Deakin (Josh Dibb) et Geologist (Brian Weitz). Noah Lennox mène également une carrière solo sous le nom de Panda Bear.

Sung Tongs – 2004

sung tongs

Comment définir la musique de cet album inclassable? Si « Leaf House » le morceau d'ouverture est à la fois étrange et accessible, avec sa guitare folk, ses voix superposées et déjantées, ses percussions, le reste de l'album ne se donne pas facilement. Il suffit de jeter une oreille sur les 12 minutes de « Visiting Friends », cet espèce de folk sous tranxène, ce trip acoustique, répétitif et ralenti pour comprendre qu'on est en terrain inexploré. On traverse ainsi l'album dans un rêve éveillé, fascinant ou exaspérant c'est selon. Quelque part entre le post rock et un folk expérimental, « Sung Tongs » est une déambulation psychédélique où des bruits venus d'ailleurs se mêlent aux voix hallucinées. Ce n'est cependant pas forcément l'album le plus évident pour découvrir Animal Collective.

Feels – 2006

feels 2006

Ce 7ème album fait feu de tous bois. Le groupe a branché l'électricité et propose une farandole de morceaux pop, à la fois foutraques et construits, remplis de percussions, de voix qui s'autorisent à peu près tout, se répondent, marmonnent, montent dans les aigus. L'expérimentation est partout mais toujours enlevée, joyeuse en particulier sur les premiers morceaux du disque. Il suffit d'écouter les virevoltants « Did You See The Words » ; « Grass » et « The Purple Bottle » pour s'en convaincre. Mais l'album recèle une autre face plus introvertie comme la belle dérive nocturne qu'est « Banshee Beat » qui exerce son pouvoir hypnotique, plongeant l'auditeur dans un état entre le rêve et l'éveil. « Bees » et « Daffy Duck » sont des titres au ralenti, méditatifs et contemplatifs, quasi en apnée et renvoient aux ambiances de « Sung Tongs ». Le superbe « Loch Raven » est totalement dépouillé et confine quasiment à l'abstraction.

« Feels » est une expérience auditive passionnante qui annonce les prochaines réussites du groupe.

Strawberry Jam – 2007

strawberry jam

Avec cet album, Animal Collective passe à la vitesse supérieure. Tout en conservant le souci constant d'expérimenter, de défricher des terres alors vierges, ils écrivent en plus de grandes chansons et atteignent un niveau de reconnaissance pour eux inédit.

De quoi s'agit-il ici ? Encore bien difficile voire impossible de mettre une étiquette sur la musique présente sur « Strawberry Jam ». Ce n'est pas du rock – quoique - , ni du folk – même si ça se discute -, on entend des percussions barrées, de l'électronique timbrée, ça part dans tous les sens tout en étant hyper maîtrisé et contrôlé. Les voix montent, descendent, hurlent, susurrent, s'entrechoquent et se cognent. Une chose est certaine, on n'a jamais entendu ça avant et on ne s'ennuie jamais tant les directions prises par ces chansons sautillantes et vrillées sont imprévisibles. Dès le formidable et intense « Peacebone » on est happé par ce disque aux 1000 idées/minute. Il n'y a rien à jeter là-dedans pour un peu qu'on soit prêt à bousculer son confort et ses habitudes d'auditeur. Mais le jeu en vaut la chandelle. Il faut fréquenter les crêtes de « Fireworks », titre frénétique aux choeurs tournoyants, se laisser embarquer par les boucles électroniques de « #1 », somptueuse dérive au clair de lune, parfaite B.O. d'un conte horrifique. Et je ne me lasserai jamais de ce monument imposant qu'est « For Reverend Green », sommet du disque, improbable greffe mutante entre My Bloody Valentine pour ses sons torturés et tordus et Bruce Springsteen pour l'intensité émotionnelle extraordinaire qui se dégage de ce titre. Le titre finit en apothéose et nous laisse anéantis.

Merriweather Post Pavillion - 2009

Mais Animal Collective n'a pas encore atteint son sommet. C'est chose faite en 2009 avec le chef d'oeuvre toutes catégories qu'est « Merriweather Post Pavilion ». Le temps a passé depuis et n'a pas altéré ce disque extraordinaire, à placer sur le même rang que « Kid A » (2000) de Radiohead pour situer le niveau. L'un ouvrait la décennie, l'autre va la refermer de la même manière, la meilleure, en conjuguant les expérimentations, l'absence de compromis artistique et la reconnaissance du public, plus restreint bien entendu pour Animal Collective que pour la bande à Thom Yorke.

animal collective

Poussés par le départ de leur guitariste Josh Deakin, les membres d'Animal Collective décident d'écrire de nouvelles chansons adaptées à leur formation. Là où d'autres auraient simplement cherché à remplacer le membre perdu, ils profitent au contraire de ce manque pour chercher de nouvelles pistes créatives. En l'occurence, la nouveauté se transforme en véritable bouleversement, en changement radical, en révolution sonore. Avec « Merriweather Post Pavilion », Animal Collective invente la pop de la décennie à venir. Jamais l'expression « Textures Sonores » n'a semblé aussi appropriée que pour ce disque tant le son semble sculpté dans une matière liquide, comme un océan originel, à l'image des photos de la pochette intérieure où un corps immergé dans un liquide multicolore évolue. Les mélodies, toutes d'une inventivité folle, jamais prévisibles, évoluant, mutant au gré des morceaux, sont traversées de sons électroniques inédits et organiques, d'harmonies vocales sidérantes, de basses enveloppantes et constituent une véritable transe, parfois tribale comme sur l'impressionnant « Brother Sport » qui clôt l'album.

Bien sûr, l'expérimentation reste la matrice du groupe et l'album doit s'apprivoiser tant nos oreilles sont peu habituées à une telle déferlante. Mais à la longue, l'évidence s'impose dès « In The Flowers » qui semble émerger d'une matrice liquide avant d'exploser en une fanfare venue d'ailleurs. Les boucles électroniques de « My Girls » sont imparables, les voix s'y croisent, se superposent en un ballet magique et emmènent ce chef d'oeuvre au paradis pop.

Il serait vain de vouloir décrire chaque titre de cet album incontournable avec lequel seule la confrontation directe est pertinente. Vain d'évoquer la houle de « Summertime Clothes », le bain amniotique de « Bluish », l'atmosphère moite et tropicale de « Lion In A Coma », la berceuse vicieuse et hallucinée qu'est « No More Runnin' ». Mieux vaut se taire et écouter.

Il faut être honnête, Animal Collective n'a jamais fait mieux, ni même aussi bien que ce pic indépassable. Des albums sont sortis, toujours avec la volonté du groupe de repousser les limites de la pop mais sans jamais retrouver ce fragile équilibre. Cela explique pourquoi je les ai quelque peu laissés de côté depuis.

Tangerine Reef – 2018

tangerine reef 2018

Jusqu'à cet album de 2018 où le groupe explore une toute nouvelle direction qui je l'avoue m'a laissé très perplexe à l'époque. Il faut dire qu'on est, avec cet album, aux antipodes de la production précédente du groupe. L'album est co-réalisé par le collectif Coral Morphologic, inspiré d'une BO composée en 1982 par Philip Glass (Koyaanisqatsi). La musique est accompagnée par un film du même nom réalisé à l'occasion de l'année internationale des récifs coralliens. Va pour le concept. Reste la musique.

53 minutes d'une ambient souvent sombre et décharnée dans une atmosphère évoquant assez bien les fonds sous-marins. La voix est plus proche de la narration atonale que du chant. Je dois avouer que l'ensemble est assez rebutant par son aspect monolithique, la quasi absence de mélodies. Peut-être les images du film sont-elles essentielles pour estimer cette musique à sa juste valeur et lui insuffler une charge hypnotique mais je crois n'être jamais parvenu à l'écouter en entier tant l'ennui qui s'en dégage très vite est puissant. Pourtant ces bulles hors du monde que sont ces titres expérimentaux ont leur charme …. par petits bouts.

Time Skiffs – 2022

time skiffs 2022

J'ai renoué avec Animal Collective en 2022 avec « Time Skiffs », peut-être l'album le plus accessible du groupe, le plus immédiatement pop à l'image du doux « Dragon Slayer » placé en ouverture. Tout en restant fidèle à ce style si particulier fait de miniatures pop, aux arrangements souvent expérimentaux, Animal Collective désarçonne moins qu'auparavant. J'adore l'excellent « Prester John » tout en retenue avec ce fond rampant et inquiétant, avant que la chanson ne déploie ses ailes de la manière la plus accrocheuse qui soit. « Strung With Everything » possède une longue intro instrumentale aux percussions à l'apparence aléatoire avant de devenir un titre pop, rythmé et entrainant. Durant presque 8 minutes, « Cherokee » semble une étendue mouvante, tantôt calme, tantôt agitée et « We Go Back » renoue avec les harmonies vocales déjà entendues depuis « Merriweather Post Pavillion ».

Bien sûr, rien de nouveau ici sous le soleil d'Animal Collective, peut-être même certaines redites, sans la folie, sans l'intensité. Mais l'album recèle suffisamment de bons moments, d'originalité pour être digne d'intérêt et prouve surtout que le groupe est toujours vivant, actif et créatif.

D'ailleurs on annonce pour ce mois de mars 2025, le nouvel album de Panda Bear. J'en profite pour adresser un salut à mon ex beau-frère américain.

Auteur
christophe billars

Passionné de musique, lui-même musicien, compositeur et parolier. Sur Poptastic, Christophe livre régulièrement des critiques affûtées sur les albums d'artistes britanniques ou en rapport avec la scène musicale britannique.


Commentaires
  1. Flotop Mango   Sur   20 mars 2025 à 23 h 42 min

    Joli article, j'y apprends que Deakin avait quitté le groupe pendant un moment ? Je réecoute Tangerine Reef et c'est un chef-d'oeuvre à mes oreilles. Coral Understanding avec son visuel me donne l'impression d'être un aboutissement de la fusion du chant humain et de l'atmosphère sous-marine.
    Merci pour votre article, je suis fan d'Animal Collective et de ses membres depuis plus de 10 ans, je les ai découvert grâce aux Daft Punk et à leur titre Doint it Right. J'ai accroché directement à la voix de Panda Bear puis j'ai glissé dans le moment experimental d'AnCo pour enfin finir dans la folie d'Avey Tare que je surnommé personnellement Avé Taré. J'adore également Sleep Cycle de Deakin, seul me manque l'accroche à l'univers de Geologist auquel je n'ai toujours pas daigné accorder du temps d'écoute.

    • Christophe Billars   Sur   21 mars 2025 à 8 h 39 min

      Merci pour votre commentaire. Je chroniquerai "Sinister grift" le nouvel album de Panda Bear dans la rubrique "En 4ème vitesse" du mois de mars encore en gestation.

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