Logo Poptastic Radio

Laurie Anderson : les deux premiers albums

Rédaction : Christophe Billars le 23 novembre 2024

Peut-être que pour certains le nom de Laurie Anderson n'évoque que celle qui fut la dernière femme de Lou Reed, qu'elle avait d'ailleurs épousé secrètement en 2008, alors qu'elle était sa compagne depuis 1995.

Il n'en va pas tout à fait de même pour moi car je dois à F. de me l'avoir fait découvrir dès 1985 ou 1986 alors que nous usions les bancs du lycée Boissy d'Anglas du côté d'Annonay en Ardèche. Si par hasard il me lit, ce grand fan de Peter Gabriel devant l'éternel se reconnaîtra. C'est grâce à son insatiable curiosité musicale et des goûts qui tranchaient sur l'ordinaire du lycéen moyen de l'époque que mes oreilles ont rencontré la production si particulière de Laurie Anderson. D'ailleurs F. chantait les paroles de ses chansons dans la cour de récréation du lycée et ce sont donc ses interprétations à lui que j'ai entendues bien avant les versions originales.

Laurie Anderson est américaine et son domaine artistique est loin de se restreindre à la musique puisqu'elle est aussi responsable de performances dans le domaine de l'art contemporain. Sa carrière continue aujourd'hui mais je ne possède que ses deux premiers albums, desquels donc j'entendais F. interpréter les chansons entre deux cours de terminale D.

Le premier d'entre eux qui s'intitule « Big Science » est sorti en 1982.

laurie anderson big science

Sur les 8 titres qui composent l'album, le goût pour les expérimentations et la volonté d'être à la pointe de la modernité en termes de choix d'instruments constituent déjà ce qui va caractériser la musique de Laurie Anderson. Ici se côtoient les claviers électroniques de l'époque, des percussions variées, des saxophones, des flutes, le tout créant l'atmosphère à la fois étrange et fascinante propre à cette artiste passionnante. Cette dernière pose sa voix dans un talk-over hypnotique comme sur l'inaugural et glaçant « From The Air » où elle fait entendre les mots délirants d'un pilote annonçant à ses passagers le crash imminent de l'avion.

Tout aussi étrange et réussi est "Big Science", qui débute par des hurlements de loups avant qu'une percussion au ralenti ne rythme le morceau. Les loups du début sont-ils les grands financiers de la Big science du titre ? Ceux qui construisent les "Golden Cities / Golden Towns" chantés par Laurie Anderson de sa voix haut perchée.

Mais c'est bien entendu le fameux "O Superman (For Massenet)" qui est le titre le plus connu de l'album. Cet improbable tube construit sur des "Ha Ha Ha" mis en boucle, trafiqués, fait entendre la voix de Laurie Anderson filtrée au vocoder, effet qu'elle utilise à plusieurs reprises, rapporter une conversation mystérieuse entre deux interlocuteurs. La chanson est inspirée d'un air de Jules Massenet, compositeur d'opéra français. Il faut accepter de se laisser bercer par ces douces vagues électroniques, et emporter par l'étrangeté du morceau.

Plus loin "Example #22" mêle l'allemand à l'anglais sur un tapis de percussions et des poussées de saxophone mais c'est surtout "Let X=X" qui impressionne, couplé avec "It Tango". Nappes de claviers, claps, voix passée au vocoder constituent cette déambulation dans un monde onirique et étrange. Un saxophone dérangé, des percussions discrètes font leur apparition jusqu'à ce que l'album se termine.

Si "Big Science" est un must, que dire de l'album suivant "Mister Heartbreak" sorti en 1984 ? Laurie Anderson y montre déjà une maîtrise totale de son art. C'est d'ailleurs par celui-ci que je suis rentré pour la première fois dans l'univers si particulier de la musicienne.

laurie anderson mister heartbreak

Pour son deuxième album, Laurie Anderson s'est entourée de musiciens exceptionnels. Qu'on en juge : Peter Gabriel (qui cosigne "Excellent Birds"), Bill Laswell à la basse, Nile Rodgers, Adrian Belew guitariste de King Crimson. Pas du menu fretin. Les sonorités riches et multiples de l'album sont le résultat d'un choix d'instruments pour certains très traditionnels (percussions africaines, cithare coréenne, matériaux divers utilisés comme percussions) et d'autres électroniques comme le vocoder ou le synclavier. Les paroles sont souvent énigmatiques voire oniriques comme sur le magnifique "Sharkey's Day" placé en ouverture, Sharkey étant le mystérieux Mister Heartbreak du titre.

Les cloches de "Gravity's Angel" soutiennent la voix très haut perchée de Laurie Anderson à laquelle Peter Gabriel vient ajouter la sienne. Le titre semble se maintenir en équilibre précaire alors que la batterie et les percussions se démultiplient, se répondent. "Kokoku" mêle, à travers des choeurs aériens, le japonais à l'anglais sur une instrumentation en dentelles à base de sifflements, de frottements caressés et d'une basse tortueuse et sinueuse. Peter Gabriel a dû se trouver dans son élément sur un tel album, lui qui fondera plus tard le label Real World pour promouvoir les musiques dites « du monde ». Comme à son habitude, la voix de Laurie Anderson se promène entre murmures, talk over et chant. Arrive donc "Excellent Birds" que Laurie interprète en duo avec l'ex leader de Genesis. Le titre, basé sur un motif très simple de clavier, comportent lui aussi des paroles énigmatiques "Flying Birds / Excellent Birds / Watch Them Fly" mais il est certainement le morceau le plus connu et le plus abordable de l'album.

"Blue Lagoon" comporte une voix trafiquée et des claviers mis en boucle et montre bien à quel point Laurie Anderson a dès le début été attirée par les expérimentations sonores en tous genres. Les paroles, presque banales, sont la lettre qu'écrit la narratrice depuis une île paradisiaque mais que les arrangements rendent étranges voire inquiétantes. L'album se termine sur "Sharkey's Night" qui fait écho au titre d'ouverture par la reprise en arrière-plan d'une mélodie présente sur "Sharkey's Day". Mais c'est bien l'écrivain William S. Borroughs que l'on entend dire ce texte encore étrange et inquiétant "Deep In The Heart Of Darkest America".

Je conçois que l'oeuvre de Laurie Anderson puisse rebuter certains mais si on considère la musique comme une façon de parcourir des univers inconnus, de s'aventurer sur des chemins de traverse, un temps précurseurs, mais qui ouvrent des voix nouvelles alors ces deux albums sont parfaits. Laurie Anderson est une très grande artiste dont pourtant je n'ai pas cherché à suivre le travail ultérieur. Bien évidemment, comme souvent, j'ai tort mais il n'est jamais trop tard pour bien faire.

Auteur
christophe billars

Passionné de musique, lui-même musicien, compositeur et parolier. Sur Poptastic, Christophe livre régulièrement des critiques affûtées sur les albums d'artistes britanniques ou en rapport avec la scène musicale britannique.


Commentaires

Poster une réponse

Votre adresse email ne sera pas publiée. Merci d'échanger en gardant une attitude respectueuse envers les autres participants et de préférer une critique constructive à des propos agressifs. Pas de contenu contraire à la loi (incitation à la haine raciale, propos homophobes, diffamation...) non plus !Champs obligatoires =*