Radio Caroline : soixante ans et une histoire aussi agitée que les eaux de la Mer du Nord
C'est le 28 mars 1964 qu'un ingénieur a réalisé le rêve de Ronan O'Rahilly en appuyant sur le bouton "On" de l'émetteur de Radio Caroline, réglé sur 199 mètres et tourné vers la Grande Bretagne. Particularité : la station se trouve sur un bateau.
Dans les années 1960, les fans de musique en Angleterre n'avaient pas vraiment le choix en matière de stations de radio. On pouvait principalement écouter la BBC et Radio Luxembourg, qui diffusaient du contenu assez policé et limitaient grandement la diffusion de musiques populaires. En effet, ces stations très conventionnelles, diffusant principalement des actualités, des émissions pour enfants et de la musique classique, ne comblaient pas les attentes des amateurs de Rock et de Pop, en pleine effervescence outre-Atlantique. À cette époque, le Rock'n'Roll venait bouleverser les ondes américaines et les jeunes britanniques aspiraient à avoir accès aux nouvelles sonorités de leurs idoles. C'est ainsi que la révolution de la radio pirate voit le jour, portée par des entrepreneurs et des animateurs charismatiques et un besoin criant de se libérer des contraintes imposées par les médias traditionnels.
Les origines de Radio Caroline : une réponse audacieuse à la censure
Ronan O'Rahilly (1940-2020), entrepreneur irlandais et propriétaire d'un club à Soho (Londres) travaillait également en tant qu'agent pour divers artistes du show business et avait notamment des contacts avec Georgie Fame, un claviériste de jazz et blues. Lorsque ce dernier rencontra des difficultés pour que sa musique soit diffusée sur les radios britanniques, Ronan eut l'idée audacieuse de créer sa propre radio sans licence, en se basant sur un bateau ancré dans les eaux internationales, émettant sur les ondes moyennes. C'était, à l'époque, le seul moyen de diffuser les programmes d'une station de radio en contournant les règles liées au monopole de la BBC.
C'est ainsi que naquit le 28 mars 1964, soit 60 ans jour pour jour, la plus célèbre de ces radios maritimes clandestines, Radio Caroline. Elle prit donc ses quartiers sur les vagues chaotiques de la Mer du Nord, sur un ancien ferry passager, le MV Frederica, rebaptisé Radio Caroline.
Une réalisation ambitieuse : la transformation d'un ferry en radio pirate
Grâce à son père qui possédait un port en Irlande du Nord, Ronan put obtenir l'accès à l'ancien ferry de passagers. Avec le soutien d'investisseurs et d'une maison de disques, il réussit à réunir les fonds nécessaires pour transformer ce bateau en une station de radio. Le dimanche de Pâques 1964, avec un texte préenregistré (car ils étaient trop nerveux pour diffuser en direct), Chris Moore et l'acteur alors inconnu Simon Dee annoncèrent : "This is Radio Caroline on 199, your all day music station." Ensuite, un disque des Rolling Stones ("Not Fade Away") a été diffusé et dédié à Ronan O'Rahilly. Caroline était sur les ondes ! Les monopoles de la BBC et du Luxembourg étaient brisés et la radio britannique était changée à jamais.
Évoluant dans une sorte de no man's land juridique en haute mer, Radio Caroline proposa dès lors une programmation musicale libre et novatrice, à des millions d'auditeurs assoiffés de Rock. Les DJ's stars comme Johnnie Walker ou Tony Blackburn captivèrent les jeunes en leur offrant ce son moderne et rebelle que la BBC leur refusait.
Le succès fulgurant et les conséquences légales
En diffusant 24 heures sur 24 du Rock et en touchant plusieurs millions d'auditeurs britanniques, Radio Caroline a su mettre en avant à quel point la popularité des radios pirates pouvait être puissante. Mais cette aventure radiophonique hors normes ne fut pas un long fleuve tranquille. Défiant l'autorité avec une insouciance créative, Radio Caroline a dû faire face à de multiples avanies : saisies de navires, naufrages, changements de fréquence imposés. Jusqu'à l'adoption en 1967 d'une loi très stricte, le "Marine, &c., Broadcasting (Offences) Act" pour tenter de faire taire Caroline et les nombreuses autres radios en mer qui s'étaient crées dans le sillage de leur grande sœur. Cette nouvelle loi rendait illégale toute collaboration avec Radio Caroline et les autres radios pirates du moment (approvisionnement, publicité...). Ainsi le 14 août 1967 à minuit, date de l'entrée en vigueur de la loi, les différentes radios émettant depuis des bateaux ancrés en Mer du Nord prirent la décision d'arrêter leurs émissions. Sauf que l'une d'entre-elles avait décidé de continuer : il s'agissait bien évidemment de Radio Caroline. À partir de cet instant, la radio créée par Ronan O'Rahilly rentrera définitivement dans l'histoire et deviendra un véritable mythe ancré dans la culture Pop britannique, symbole d'une jeunesse en quête de liberté qui a réussi à défier les codes de la radio.
Mais au-delà de ce statut de légende, il est important de rappeler que Caroline a joué un rôle crucial dans la diffusion et la démocratisation de nouvelles musiques. Elle a également incarné cette volonté de briser les règles pour apporter du changement et a certainement influencé bon nombre d'artistes et de mouvements futurs.
Péripéties en haute-mer
Naviguer sur un bateau servant de base à une station de radio, amarré dans les eaux glaciales de la Mer du Nord, n'est pas une sinécure, surtout lorsqu'on est constamment dans le collimateur des autorités. Outre l'interdiction de ravitaillement, qui complique la vie des animateurs et de l'équipage à bord, les restrictions sur l'achat de publicité à Radio Caroline, les menaces du Premier Ministre de l'époque (le dénommé Harold Wilson) pour toute collaboration avec une radio "illégale" et les problèmes financiers qui en résultent, il faut également composer avec les éléments déchaînés de cette région du globe. Et comme on pouvait s'y attendre, le pire est arrivé. Le 20 mars 1980, le second navire de Radio Caroline, le "Mi Amigo", a été pris dans une violente tempête en mer du Nord. Les vents violents et les vagues déchaînées ont provoqué le naufrage du navire, le faisant sombrer dans les eaux tumultueuses.
Le naufrage du Mi Amigo a été un événement tragique dans l'histoire de Radio Caroline. Ce navire était la principale plateforme de diffusion de la station, lui permettant d'envoyer ses programmes vers le Royaume-Uni et d'autres régions de l'Europe. Bien sûr, les émissions de la station ont été interrompues, causant une perte majeure pour l'entreprise. Cependant, Radio Caroline a su surmonter cette épreuve et est parvenue à revenir sur les ondes.
Une histoire jalonnée d'événements aussi riches que dramatiques.
L'histoire de Radio Caroline est jalonnée d'événements aussi riches que dramatiques. Parmi ceux-ci, outre le naufrage mentionné précédemment, un épisode demeure inoubliable : l'arraisonnement du "Ross Revenge", le nouveau navire de la station. Mais avant d'en arriver là, revenons sur ses origines : le Ross est un chalutier massif en bon état, conçu pour résister aux conditions les plus extrêmes en mer ; il a été choisi pour sa stabilité et pour accueillir une antenne d'une dimension sans précédent sur un bateau-radio, culminant à près de 100 mètres ! Mais, cette masse imposante en hauteur créait un effet pendulaire et menaçait l'équilibre du navire. Pour remédier à ce problème, la solution trouvée était d'ajouter 500 tonnes de ballast en béton pour compenser. Un exploit technique sans précédent.
À la mi-octobre 1987, un ouragan frappe la Grande-Bretagne, le Ross Revenge défie les éléments, traversant la tempête sans encombres. Mais ce triomphe est de courte durée. Le 24 novembre, de violentes conditions météorologiques le frappent à nouveau, entraînant un drame. Vers 4 heures du matin, le 25, l'équipage était terrifié alors que le navire prend une inclinaison inquiétante au milieu d'une cacophonie de bruits de chocs et de chutes de structures métalliques, le mât de 100 mètres, endommagé par l'ouragan, s'effondre dans la mer, plongeant Radio Caroline dans le silence.
Mais c'est le samedi 19 août 1989 que l'impensable se produit, lorsque deux navires s'approchent du bateau-radio : un hollandais et un britannique, tous deux avec des officielsarmés à bord.
Leur objectif ? Réduire au silence la station, par la violence si nécessaire. Et c'est exactement ce qu'il se passe : les hollandais prennent le contrôle du Ross et alors que le chaos règne à bord, les animateurs relatent en direct les événements aux auditeurs, sous le choc. Puis, après avoir débranché les émetteurs, les mêmes hollandais dépouillent le navire de tout l'équipement de diffusion tandis que les britanniques tentent d'interroger l'équipage sous la menace d'arrestation. Tout cela se déroule en eaux internationales où les autorités n'avaient aucun pouvoir officiel. Les assaillants quittent enfin le navire, emportant avec eux tous les enregistrements, studios et équipements de transmission, laissant derrière eux des actes de vandalisme et des dommages délibérés. Ils ont également laissé sur place l'équipage britannique qui a refusé d'abandonner leur navire désormais dans un sale état.
Après cette épisode terrible, à force de ténacité de la part de son équipe, de dons d'auditeurs et autres généreux donateurs, Caroline est revenue sur les ondes de manière sporadique, sur différents supports dont Internet. Internet qui s'est révélé être finalement LE nouveau support de diffusion principal, même si aujourd'hui la station est de retour sur les ondes moyennes (AM) sur une fréquence - ironie du sort - qui avait appartenu à... la BBC, à savoir 648 KHz et également sur le DAB.
Sous la direction de Peter Moore, elle émet aujourd'hui régulièrement depuis des studios basés dans le Kent et une fois par mois en direct du Ross Revenge ancré dans la "River Blackwater" dans l'Essex. Des visites sont organisées à l'occasion de ces émissions en direct et tous les bénéfices sont utilisés pour la restauration du Ross qui en a bien besoin. À noter qu'une grande campagne de financement et de dons a été lancée sur le site radiocaroline.co.uk dans le but de maintenir à flots le siège "de la station de radio la plus célèbre du monde".
Un héritage culturel fort et un esprit rebelle indéniable
La radio pirate, symbole d'un esprit rebelle et engagé, a marqué l'histoire de la radiodiffusion britannique et continue d'être une référence en termes d'audace et de créativité. Radio Caroline reste l'exemple phare d'une station ayant su s'affranchir des carcans traditionnels pour offrir au public ce qu'il désirait tant : du rock vibrant, authentique et sans limite.
"Good Morning England", le film de Richard Curtis, inspiré de l'histoire de Radio Caroline, avec Philip Seymour Hoffman, Rhys Ifans, Kenneth Branagh, Nick Frost, Tom Sturridge, Bill Nighy. Disponible sous plusieurs formats sur Amazon.